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INDIGNATIO : Récits de bénévoles œuvrant pour le respect des droits des personnes en situation d’exil à la frontière franco-britannique.

Indignation, nom féminin. Emprunté du latin indignatio, de même sens.

Sentiment de colère qui peut être mêlé de mépris, qu’excite une injustice criante, une action honteuse ou injurieuse, un spectacle ou un propos révoltant. Exemple : On ne saurait voir cela sans indignation. Exprimer, laisser éclater son indignation. N’être plus maître de son indignation. Provoquer l’indignation publique, l’indignation générale. Définition du cnrtl.

Dès le début est venu l’indignation. Une indignation sourde, puissante, mélangée à de la rage. Une indignation qui m’a traversé tout le corps, qui a pris et prend toujours toute la place dans mon esprit. En arrivant à Calais, j’ai très rapidement compris ce qu’il s’y passait. Ce qui m’a permis de donner un sens à mon indignation et de l’exprimer, ça a été de travailler sur le terrain. Le fait de pouvoir agir a rendu les choses plus claires. J’ai été bénévole pendant 4 mois à Calais, une petite ville à la frontière franco-britannique, pour Utopia 56, une association qui vient en aide aux personnes exilées. A la fin de mon bénévolat, j’ai voulu monter un projet avec quelques-uns de mes amis de l’équipe. J’ai essayé de montrer un bout de notre vie quotidienne en tant que bénévoles à travers leurs témoignages et mes photos.

Marc, 28 ans et bénévole pendant 2 mois

« Décrire mon expérience à Calais avec un souvenir marquant ? Elle est dure ta question… Calais c’est tellement dense comme expérience, il s’est passé tellement de choses, contradictoires parfois, que j’arrive pas à avoir un seul souvenir représentatif. Quand je pense à Calais, j’ai juste plein de bribes de souvenirs qui, mis ensemble, dessinent une certaine vision de Calais. Ce que je retiens, c’est plus des rencontres, des personnes qui m’ont marqué.

Un matin en urgence jour, on avait croisé un groupe de gars qui venait de se faire prendre leurs tentes par la police. Ils avaient plus rien, les flics étaient venus prendre toutes leurs affaires. Certains avaient leurs papiers, leurs portables à l’intérieur. Les flics avaient même pris une cuve d’eau, et avaient renversé toute l’eau par terre. Je pense que c’était pas la première fois que les gars subissaient  une éviction, mais là on sentait que c’était trop. Il y avait vraiment cette incompréhension, un des gars répétait sans cesse « pourquoi, pourquoi, pourquoi ils font ça, pourquoi, pourquoi ». On a essayé de rentrer dans une discussion avec lui, de pointer du doigt les décisions politiques, et les justifications (avec lesquelles je suis pas d’accord) du gouvernement pour ce genre d’action, mais il restait bloqué sur son ‘pourquoi’. C’était juste trop absurde pour être compris, ou rationalisé. Celui-là m’avait vraiment brisé le cœur. Tous mes souvenirs de Calais sont marquants parce qu’à chaque fois ils te font prendre conscience de ce qui se passe sur le terrain. Même si tu le savais avant, là ça passe par l’émotion de l’autre, et c’est par l’émotion de l’autre que ça venait me toucher. C’est des petits déclics à chaque fois. »

Comment décrire Calais ? Ce que je dis généralement en premier, c’est que c’est une zone de non-droit. L’Etat ne respecte pas ses obligations, et beaucoup de choses illégales s’y passent sans que personne ne soit au courant. Plus en détail, Calais est une petite ville côtière du Nord de la France. La plupart des personnes en situation d’exil qui veulent aller en Angleterre mais qui n’ont pas accès aux voies légales y viennent pour tenter la traversée illégale de la frontière en camion ou en bateau. En périphérie de la ville, il y a une dizaine de lieux-de-vie, où vivent pour quelques jours ou quelques mois des hommes seuls, familles, et MNA (Mineur Non Accompagné : mineur de nationalité étrangère arrivé sur le territoire français sans titulaire de l’autorité parentale) venus de Guinée, du Soudan, d’Afghanistan… L’Etat y mène une politique d’harcèlement appelée « Zéro point de fixation », qui consiste à envoyer à peu près toutes les 48h des convois de CRS faire une expulsion de chaque lieu de vie. Lors de ces expulsions, le convoi forme un périmètre de sécurité à l’intérieur du lieu de vie. Les gens qui y vivent se lèvent, déplacent leurs affaires, attendent la fin de l’expulsion, puis les reposent à leurs anciennes places. Les CRS détruisent les tentes et volent les affaires de ceux qui n’ont pas pu déplacer leurs biens hors du périmètre ou qui n’étaient pas présents lors de l’expulsion.

Un des lieux de vie. Les gens y nourrissent souvent plusieurs chats qui y viennent régulièrement. Calais, 22 août 2023.
Un des lieux de vie. Les gens y nourrissent souvent plusieurs chats qui y viennent régulièrement. Calais, 22 août 2023.
Un des lieux de vie. Calais, 22 août 2023.
Un des lieux de vie. Calais, 22 août 2023.
Un des lieux de vie. Les gens y vivent en tente posée sur des cagettes de bois pour éviter le froid et l'humidité. Calais, 22 août 2023.
Un des lieux de vie. Les gens y vivent en tente posée sur des cagettes de bois pour éviter le froid et l’humidité. Calais, 22 août 2023.

Romane, 21 ans et bénévole pendant 2 mois

« Je vais raconter ma première urgence nuit sans bénévole plus ancien que moi, où j’étais en équipe avec Marc. On commence le shift avec quelques mises à l’abri, certaines sont refusées mais ça se passe plutôt bien. Dans la soirée, on reçoit un message d’un groupe de 25 personnes à la gare de Calais qui ont essayé d’aller au Royaume-Uni en bateau mais qui ont été empêchées par la police. Dans le groupe on sait qu’il y a des femmes, des enfants, et quelques personnes mouillées. Au même moment, on reçoit un message d’une mère et sa fille de 20 ans qui sont aussi arrivées à Calais, mais elles sont à une autre gare en périphérie de la ville.

On décide d’aller voir le gros groupe pour vérifier les besoins, puis on passe à l’entrepôt pour prendre le matériel de nuit qu’on pourra leur distribuer (thé, eau, vêtements…). Entre-temps, les deux femmes sont arrivées dans le centre de Calais. On décide d’aller les voir, d’abord parce qu’elles étaient très paniquées, très seules, et qu’elles avaient froid. Elles voulaient un hébergement pour la nuit, donc on appelle le 115. [numéro d’urgence qui vient en aide aux personnes sans abri et en difficulté sociale. L’organisation se fait à l’échelle départementale en coordination avec les services de l’Etat. A Calais, ils peuvent loger les gens pour quelques nuits, mais une seule fois.] On vérifie qu’elles n’y sont jamais allées et on prend les infos nécessaires. J’appelle le 115, et je tombe sur un mec qui, quand je dis le nom de famille, me dit « Ah, ce nom de famille je le connais, je les prend pas elles sont déjà venues ». J’étais un peu paumée à cause de tout ce qui s’était passé avant, et je pense que les deux femmes ont senti qu’il y avait un truc qui allait pas pendant cet appel et elles ont commencé à un peu paniquer, je le voyais. J’insiste sur le fait qu’elles sont nouvelles sur Calais, et demande au mec de me laisser finir, mais l’appel coupe court à ce moment-là. Notre procédure dans ce cas-là, c’est de prendre tentes et couvertures, et de les installer dans un parc qu’on pense être à peu près sûr dans Calais.

C’était un moment vraiment dur quand on a dû leur annoncer qu’elles devaient dormir dehors, elles étaient vraiment pas rassurées, et on sentait que la fille qui avait 20 ans ne voulait absolument pas dormir dehors. On a essayé de les rassurer au maximum, et on les a installé dans le parc. C’est dur dans les moments comme ça, tu peux pas lâcher tes émotions parce que tu dois leur dire que c’est un endroit safe, alors que t’es même pas sûr que c’est safe. Puis tu laisses une mère et sa fille dormir dans un parc, tu vois leurs paniques et leur tristesse. Le matin, elles nous ont rappelé juste avant le changement d’équipe, et l’équipe de jour est allée directement les voir pour essayer de leur trouver un hébergement.

J’ai fait une sieste après le shift, et le réveil était compliqué. Je me sentais vraiment mal, je me disais que j’avais laissé des gens dormir dehors. Je sais qu’il y a plein de gens qui dorment dehors tous les jours, mais devoir les installer dans le parc, ça m’avait vraiment mis dans le mal. Je pensais aussi au groupe de 25 qui nous ont quand même attendu longtemps. J’arrivais pas trop à savoir si on avait bien fait les choses, je m’en voulais beaucoup. Au final on a parlé avec d’autres bénévoles, qui nous ont dit qu’on avait fait comme on pouvait, et qu’on avait bien fait. Mais il y a quand même ce sentiment de culpabilité qui est resté pendant une ou deux semaines après. »

Iris, Romane, Pierre, et Lou lors du changement d’équipe d’urgence. Calais, 21 août 2021, 18h25.
Iris, Romane, Pierre, et Lou lors du changement d’équipe d’urgence. Calais, 21 août 2021, 18h25.
Romane et une autre bénévole en maraude littorale cherchent un bateau qui serait parti pour l’Angleterre. Cap Blan-nez, 14 août 2023, 6h32.
Romane et une autre bénévole en maraude littorale cherchent un bateau qui serait parti pour l’Angleterre. Cap Blan-nez, 14 août 2023, 6h32.

Il y a un tissu associatif assez impressionnant à Calais, qui se coordonne pour pallier les manquements de l’Etat et proposer un accueil et des conditions de vie dignes aux personnes exilées. Utopia en fait partie.

Le travail d’Utopia à Calais est divisé en 3 missions : les urgences jour et nuit où l’on tient un téléphone d’urgence 24h/24 et 7j/7 ; les maraudes littorales où l’on parcourt la côte de Dunkerque jusqu’au Touquet pour aller à la rencontre de gens qui ont échoué leur traversée en bateau pour leur proposer nourriture, thé, vêtements et récolter des potentiels témoignages de violence policière ; et les maraudes sociales, où l’on fait de l’accès à l’information et de la réduction des risques liés aux traversées en bateau et en camion. 

Un des objectifs principaux est de faire de l’accès au droit commun : on oriente toujours en premier temps les gens vers l’aide que l’Etat est censé leur fournir.

Marc prépare du thé pour la maraude littorale du lendemain. Calais, 9 août 2023, 22h28.
Saint-Omer Capelle, 23h. Marc, un des bénévoles, prépare le thé pour la maraude littorale, qui débutera vers 3h du matin. Chaque veille de maraude littorale, l’équipe prépare le thé, qui sera ensuite distribué aux personnes rencontrées sur le terrain.
Axel, un des 3 coordinateurs de l’équipe de Calais, répond à un appel de l’équipe d’urgence. Les coordinateurs tiennent des astreintes téléphoniques que les équipes d'urgence peuvent appeler quand elles ont besoin d’aide/de conseils. Calais, 23 août 2023, 13h05.
Axel, un des 3 coordinateurs de l’équipe de Calais, répond à un appel de l’équipe d’urgence. Les coordinateurs tiennent des astreintes téléphoniques que les équipes d’urgence peuvent appeler quand elles ont besoin d’aide/de conseils. Calais, 23 août 2023, 13h05.
Fleur, Fernand, Lou et Marc à la Warehouse, l’entrepôt dans lequel est stocké le matériel de la plupart des associations de Calais. Calais, 21 août 2023, 16h05.
Fleur, Fernand, Lou et Marc à la Warehouse, l’entrepôt dans lequel est stocké le matériel de la plupart des associations de Calais. Calais, 21 août 2023, 16h05.
Chloé en urgence jour répond au téléphone d’urgence. Calais, 15 août 2023, 11h05.
Chloé en urgence jour répond au téléphone d’urgence. Calais, 15 août 2023, 11h05.
Iris et Lou trient des dons à la Warehouse. Lorsque l’équipe d’urgence jour ne reçoit pas d’appel, elle reste à la Warehouse pour trier les dons. Calais, 21 août 2023, 12h23.
Iris et Lou trient des dons à la Warehouse. Lorsque l’équipe d’urgence jour ne reçoit pas d’appel, elle reste à la Warehouse pour trier les dons. Calais, 21 août 2023, 12h23.
Iris et Lou mangent à la Warehouse pendant leurs shifts. Calais, 21 août 2023, 12h50.
Iris et Lou mangent à la Warehouse pendant leurs shifts. Calais, 21 août 2023, 12h50.
Tiphaine et Kahina en maraude sociale dans un des lieux de vie discutent avec une personne exilée. Calais, 22 août 2023, 14h54.
Tiphaine et Kahina en maraude sociale dans un des lieux de vie discutent avec une personne exilée. Calais, 22 août 2023, 14h54.
Tiphaine et Iris en maraude sociale dans un des lieux de vie, rigolent avec une personne exilée. Les maraudes sociales nous permettent d’avoir une approche différente du terrain, parce qu’on peut y prendre le temps de discuter et de créer un lien de confiance avec les gens. Calais, 22 août 2023, 15h03.
Tiphaine et Iris en maraude sociale dans un des lieux de vie, rigolent avec une personne exilée. Les maraudes sociales nous permettent d’avoir une approche différente du terrain, parce qu’on peut y prendre le temps de discuter et de créer un lien de confiance avec les gens. Calais, 22 août 2023, 15h03.

Chloé, 21 ans et bénévole pendant 2 mois

« Ce qui me revient souvent à l’esprit, c’est le visage d’une personne exilée qui devait avoir à peu près mon âge, et que j’ai rencontrée à plusieurs reprises. Les premières fois, il devait être à l’accueil de jour du Secours Catholique, mais il n’était jamais venu nous parler. Puis je l’ai croisée un jour sur une route vers 5h du mat’ en maraude litto. On s’est arrêté pour lui donner à lui et ses 2 autres amis du thé, des biscuits et des infos pour revenir sur Calais. Et là on a discuté parce qu’il parlait italien, et moi aussi. Je l’avais recroisé plusieurs fois en ville après ça, et on s’était salué.

On a vécu dans la même ville à peu près au même moment, donc c’est comme s’il y avait eu un parallèle entre nos deux vies un certain temps. Ce qui m’a marqué c’est vraiment le contraste lié aux différents lieux de naissance entre nous deux. Il y a une distance qui se crée à cause de loi et des décisions politiques qui sont tellement éloignées de la vie des personnes, dans les faits, que ça donne la rage en fait. »

Lou, 19 ans et bénévole pendant 1 mois

« Perso je vais parler du naufrage du 12 août, où il y a eu 6 morts. J’étais dans l’équipe d’urgence ce jour-là. Dans la matinée, on a reçu un appel d’Axel, un de nos coordos, qui nous demande d’aller voir un retour au port. Il nous dit que le sauvetage s’est mal passé, qu’il y a un mort, et que le bilan risque de s’alourdir. [Lorsqu’un bateau a un problème trop important pour continuer la traversée et que les garde-côtes ramènent les naufragés au port]. On est resté 2 heures au port, même si on pouvait pas faire grand chose, et on a décidé de continuer la journée quand même.

Le soir même, on a eu une grosse réu d’équipe pour parler du naufrage, voir comment tout le monde se sentait. Au début du tour de parole, Fra, une de nos coordos, a désamorcé la situation en expliquant que c’est grave normal de se sentir mal, triste, et coupable. Tout le monde a commencé à parler après, et c’est à ce moment-là que ça a vraiment tapé. Honnêtement, je pensais pas du tout que j’allais être touchée par ça, mais là j’arrivais plus à parler parce que je savais que j’allais commencer à pleurer. Le fait d’être là, de se dire qu’il y avait peut-être des gars qu’on avait vu sur le bateau, le fait de pas pouvoir identifier les personnes, c’était très spécial. 

Mais en même temps c’était trop bien d’être avec l’équipe. Tout le monde parlait de ça et se comprenait, et ça m’a fait du bien de guérir dans un cadre où c’est ok d’être mal, c’est ok d’être triste, c’est ok de se sentir coupable, et où on traverse ça ensemble. Ce qu’on vit à Calais c’est vraiment dur, mais il y a une sorte d’énergie qui se dégage de l’équipe qui m’a fait vraiment du bien. On a fait une soirée juste après la réu, et c’était trop chouette. On a arrêté de parler de ça, on a parlé de pleins d’autres trucs, et dès le lendemain je me sentais beaucoup mieux.

Et même si c’était horrible, je suis contente d’avoir été présente à ce moment-là et pas à un autre endroit, parce que c’est important de le vivre et de voir comment ça se passe. »

Lou et Iris déchargent la voiture d’urgence jour et nuit. Calais, 21 août 2023, 16h54.
Lou et Iris déchargent la voiture d’urgence jour et nuit. Calais, 21 août 2023, 16h54.
Lou explique à Clémence, une nouvelle bénévole, le fonctionnement du téléphone d’urgence. Calais, 29 août 2023, 8h03.
Lou explique à Clémence, une nouvelle bénévole, le fonctionnement du téléphone d’urgence. Calais, 29 août 2023, 8h03.
Lou, Clémence et Pierre déchargent la voiture d’urgence jour et nuit. Calais, 29 août 2023, 9h47.
Lou, Clémence et Pierre déchargent la voiture d’urgence jour et nuit. Calais, 29 août 2023, 9h47.
Lou et Axel à la Warehouse après une maraude littorale. Calais, 23 août 2023, 11h55.
Lou et Axel à la Warehouse après une maraude littorale. Calais, 23 août 2023, 11h55.
Axel, Fleur et Lou rechargent la voiture de maraude littorale. Ils remplissent des bacs de vêtements et de nourriture pour la prochaine maraude. Calais, 23 août 2023, 12h05.
Axel, Fleur et Lou rechargent la voiture de maraude littorale. Ils remplissent des bacs de vêtements et de nourriture pour la prochaine maraude. Calais, 23 août 2023, 12h05.

L’équipe, c’est aussi ce qui nous fait tenir. Mon expérience à Calais se résume en partie à beaucoup de petits et grands moments de partage avec l’équipe. Je me souviendrais toujours de la peine, de la douleur, de la profonde tristesse des décès. Des commémorations. Mais je me souviendrai longtemps aussi des repas partagés ensemble, surtout ceux après les longues journées de travail. Des cafés à 2h du mat’ avant les maraudes litto, de la Monster quand le soleil se levait, et du pain au fromage de chez Sophie quand on arrivait sur Boulogne. Des discussions aussi, qu’elles aient été profondes ou légères, mémorables, drôles, tristes, frustrantes, énervantes même, qui m’ont fait grandir, et celles quotidiennes où je racontais ma journée, où je cherchais des conseils et du soutien. Des bières ensemble, des clopes, des sorties à la plage, des tisanes avant de se coucher. Des frites de chez Claudia dans la voiture quand la nuit se calmait enfin, et des thés trop sucrés qu’on buvait sur le bord d’une route en pleine nuit. C’est aussi ça Calais : des rencontres et des moments de partage.

Kahina et Madeleine, après une de nos maraude sociale. Calais, 15 août 2023, 21h30.
Kahina et Madeleine, après une de nos maraudes sociales. Calais, 15 août 2023, 21h30.
Tiphaine, Fernand, et Iris à la plage de Calais. Calais, 25 août 2023.
Tiphaine, Fernand, et Iris à la plage de Calais. Calais, 25 août 2023.
Axel et Kahina dans une des deux maisons où l’on habite. Calais, 27 août 2023.
Axel et Kahina dans une des deux maisons où l’on habite. Calais, 27 août 2023.
Fernand, Angèle, Lou et Romane boivent un verre avec le reste de l’équipe à la Betterave, un bar de Calais. Calais, 25 août 2023.
Fernand, Angèle, Lou et Romane boivent un verre avec le reste de l’équipe à la Betterave, un bar de Calais. Calais, 25 août 2023.
Marc pendant une de nos urgence nuit. On s'arrête souvent au Pidou, une supérette ouverte 24h/24, pour faire des pauses pendant nos shifts. Calais, 22 août 2023, 2h25.
Marc pendant une de nos urgences nuit. On s’arrête souvent au Pidou, une supérette ouverte 24h/24, pour faire des pauses pendant nos shifts. Calais, 22 août 2023, 2h25.
Marc joue de la guitare le lendemain d’une de nos urgence nuit. Calais, 23 août 2023, 11h14.
Marc joue de la guitare le lendemain d’une de nos urgences nuit. Calais, 23 août 2023, 11h14.
L’équipe d’urgence jour et de maraude sociale font une pause ensemble à la Warehouse. Calais, 21 août 2023, 16h28.
L’équipe d’urgences jour et de maraude sociale font une pause ensemble à la Warehouse. Calais, 21 août 2023, 16h28.

Marc

« Une autre rencontre marquante que j’ai fait, c’est deux MNA qui s’appellent Bakhtiar et Ahmed. On les avait croisés une première fois parce qu’ils voulaient une mise à l’abri. FTDA [voir explication plus bas] avait encore une fois plus de place, donc on avait voulu les amener à la maison pour mineur d’Utopia à Lille, et ils devaient prendre le train pour y aller. D’ailleurs je te raconte ça mais on travaillait ensemble ce jour-là, et tu dois bien t’en souvenir vu ce qui s’était passé avec les deux contrôleurs qui voulaient pas les faire monter au début. Cette scène, je la trouvais assez belle. Ils étaient d’abord assez méfiants, ils nous faisaient pas confiance, mais je me souviens de la gratitude dans leurs regards à la fin. Je les ai même recroisés en maraude sociale à Hospital [nom d’un des lieux de vie]. On a tchatché un peu, et ça se sentait qu’on était contents de se retrouver, autant eux que moi.

Ces deux jeunes là, j’y ai pas mal repensé. Quand je les ai recroisés à Hospital, c’était un peu avant le naufrage du 12. En fait j’ai jamais su s’ils étaient dans le bateau ou pas, ou s’ils faisaient partie des disparus du naufrage. Je les ai pas revu, j’ai pas entendu parler d’eux, et ça m’a pas mal inquiété. C’est aussi ça Calais. C’est poser des visages, des noms, des relations, c’est des rencontres, c’est des gens et on les humanise, c’est à rebours de toute la déshumanisation qui est portée par les médias et leurs « 6 migrants morts en mer ». Là c’est des gens qu’on connait quoi, et cette manière de m’attacher à eux, de le remettre dans le contexte du naufrage, ça m’a fait prendre conscience de certaines choses, sur la manière dont je voyais de loin le terrain avant, et comment il s’est humanisé au fur et à mesure de de mon expériences à Calais. »

Article 20 de la Convention Internationale relative aux droits de l’enfant (CIDE), ratifié par la France : « Tout enfant qui est temporairement ou définitivement privé de son milieu familial, ou qui dans son propre intérêt ne peut être laissé dans ce milieu, a droit à une protection et une aide spéciale de l’Etat ».

Légalement, l’Etat doit loger les MNA. Pour ça, France Terre D’Asile (FTDA), une association mandatée par le département, gère un centre d’hébergement pour MNA à Saint-Omer, une ville à 40 minutes de Calais. Lorsque l’on est contacté par un MNA, notre procédure est donc de contacter FTDA pour leur demander de le loger. Or, combien de refus est-ce qu’on a eu au téléphone par manque de places dans le centre ? Combien de MNA rencontrés en urgence jour et nuit on dormit dehors, faute de solution d’hébergement ?

25 janvier 2023 : le comité des droits de l’Enfants des Nations Unies sanctionne la France pour son traitement des MNA non conforme à la CIDE.

Kahina, 20 ans et bénévole pendant 4 mois

« Moi ça fait longtemps que je bosse dans ce milieu, donc je ne suis plus marquée par grand chose. Mais je pense que ce qui me frappe le plus à Calais c’est des moments hyper random. Pendant ma maraude litto d’hier par exemple on a croisé une cinquantaine de personnes à la gare de Boulogne, et on a distribué thé, gâteaux, etc.

Mais le moment le plus marquant c’est quand on est arrivé sur un parking à Equhien, où il y avait quelques gars soudanais qui avaient entre 16 et 22 ans, ce qui est genre des âges similaires au nôtre en soit. On a aussi sorti thé, gâteaux et tout le reste, mais on avait la flemme de repartir. Donc on s’est assis sur le parking avec eux, et on a juste parlé et rigolé. Et c’est des conversations qui pour nous sont normales, mais qui à la base sont lunaires. C’est genre « Vous êtes là pour traverser ? Ah vous attendez parce qu’il y a les flics sur la plage. Faites gaffe à vous, n’oubliez pas les règles de sécurité, et s’il y a un problème appelez le 112 », etc.

Mais du coup les moments marquants c’est ça quoi, juste tu te poses et tu partages, tu rigoles, tu discutes… »

Une personne exilée nous prépare du café pendant une maraude sociale. Calais, 22 août 2023, 15h23.
Une personne exilée nous prépare du café pendant une maraude sociale. Calais, 22 août 2023, 15h23.
Tiphaine et Iris boivent du café en discutant. Lors des maraudes sociales, les gens nous préparent souvent du café lorsque l’on va dans les lieux de vie. Calais, 22 août 2023, 15h44.
Tiphaine et Iris boivent du café en discutant. Lors des maraudes sociales, les gens nous préparent souvent du café lorsque l’on va dans les lieux de vie. Calais, 22 août 2023, 15h44.
Kahina et une personne exilée. Calais, 22 août 2023.
Kahina et une personne exilée. Calais, 22 août 2023.

Chloé

« Ce qui est bouleversant, c’est le contraste que j’ai vécu en tant que bénévole à Calais. D’un côté j’ai côtoyé tous les jours le monde des injustices, lié au racisme systémique de l’Etat et au système capitaliste dans lequel on vit. Et de l’autre j’ai expérimenté un modèle de vie entre bénévoles basé sur l’autogestion dans des maisons où on vit à 10/11, avec des personnes qui sont sympas, bienveillantes, et où on fait attention aux uns et aux autres. C’est hyper frustrant de voir ce qu’est le monde, et ce qu’il pourrait être. Donc je dirais que le plus gros impact que Calais a eu sur ma vie, c’est l’envie de changer les choses. Et je sais dans quelle direction je veux que les choses changent. »

L’équipe buvant un verre à la Betterave, un bar de Calais. Calais, 25 août 2023.
L’équipe buvant un verre à la Betterave, un bar de Calais. Calais, 25 août 2023.

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