Nous sommes le 12 dĂ©cembre 2020. Sur la route de Calais. Il fait froid, le ciel est gris. Les chiffres du COVID se stabilisent Ă quelques jours du dĂ©confinement. Les images de l’expulsion violente de la place de la RĂ©publique Ă Paris rĂ©sonnent encore dans les mĂ©moires, mais Ă Calais rien ne change. A l’Ouest du stade, les bĂ©nĂ©voles de Migraction vont, une fois encore, hĂ©berger quelques rĂ©fugiĂ©s le temps d’un week-end.

La veille, France 3 Région titrait : « A Calais, une centaine de migrants expulsés, les associations dénoncent des  » comportements abusifs  » ». Une expulsion a eu lieu hier : « On aura peut-être moins de gars du coup... » .
Sur le chemin pour Calais, Sophie et Bamba, membres de Migraction, me parlent de GĂ©rald Darmanin, le ministre de l’IntĂ©rieur : « Il a Ă©normĂ©ment compliquĂ© la situation des exilĂ©s : les campements sont dispersĂ©s, dĂ©truits toutes les semaines, les distributions alimentaires sont interdites. C’est dur. Beaucoup sont affaiblis par le confinement et les expulsions Ă rĂ©pĂ©tition. Ils dorment sous des bâches puisqu’on dĂ©chire leurs tentes ».
Bamba se confie sur sa frustration : « Ils nous traitent de fous furieux parce qu’on dĂ©fend la dignitĂ© et la libertĂ© de tous, alors que ce sont eux qui appliquent des politiques de fous furieux » VoilĂ le ressenti de ceux qui, chaque semaine, luttent pour offrir du repos aux rĂ©fugiĂ©s.
DĂ©sabusĂ©e par les politiques qui règnent sur place, les nombreuses expulsions et les abus des forces de l’ordre, Sophie m’explique: « On pensait que ça ne pouvait pas ĂŞtre pire, et Darmanin est arrivĂ© Ă l’IntĂ©rieur. C’est toujours comme ça d’annĂ©e en annĂ©e, on se dit que ça ne pourrait pas ĂŞtre pire et finalement on plonge plus fort ».
A l’Ouest du stade calaisien
Les rĂ©fugiĂ©s retrouvent les membres de Migraction Ă l’Ouest du stade de Calais. Aujourd’hui, il n’y a presque que des ÉrythrĂ©ens au point de rendez-vous. Quelques Ă©thiopiens. Presque que des hommes. Seule une femme est prĂ©sente. Elle est hĂ©bergĂ©e chaque semaine par le collectif, les autres rĂ©fugiĂ©s insistent : « C’est difficile pour elle » .

La rĂ©partition commence. Ce weekend, une trentaine de rĂ©fugiĂ©s sera hĂ©bergĂ©e en famille d’accueil. Bamba et Sophie s’occupent de l’organisation de cette rĂ©partition. D’autres bĂ©nĂ©voles comme Romane distribuent des masques Ă ceux qui partent se reposer.

En attendant de se voir attribuer une voiture, les rĂ©fugiĂ©s rigolent entre eux, certains Ă©coutent de la musique, discutent. Personne ne porte de masque, certains se sautent mĂŞme dans les bras. Les rĂ©fugiĂ©s n’ont Ă©tĂ© que très peu touchĂ© par le COVID. Les bĂ©nĂ©voles redoublent donc d’attention, de peur de le leur transmettre. Ce n’est pas la maladie qui les touche grièvement: c’est la politique.

Après la rĂ©partition dans les familles, des vĂŞtements et des chaussures d’hiver sont distribuĂ©s. Romane, une bĂ©nĂ©vole originaire de Strasbourg observe Ă©mue un rĂ©fugiĂ© essayer un manteau : « C’est celui de mon père, il vous va bien… » . Les rires Ă©clatent, les rĂ©fugiĂ©s sont ravis d’avoir de quoi se couvrir. Certains d’entre eux vont voir Sophie pour leur demander des chaussures de randonnĂ©e « mais impermĂ©ables si possible, elles nous tiennent bien chaud ! » .

Un moment de partage s’installe par la suite, Bamba et Karim discutent tranquillement avec les rĂ©fugiĂ©s qu’ils connaissent bien. Deux d’entre eux m’expliquent que ça fait plus d’un an qu’ils sont lĂ , que le COVID, il est passĂ© presque inaperçu dans leur quotidien. La politique de GĂ©rald Darmanin, au contraire, a rendu la vie plus difficile encore qu’elle n’Ă©tait dĂ©jĂ . Le ministre ayant interdit les maraudes, les repas chauds ne sont maintenant qu’un lointain souvenir et la fatigue des expulsions rĂ©pĂ©titives est sĂ©vère.

Les rĂ©fugiĂ©s qui ne sont pas en famille ce weekend s’en vont doucement, sacs de vĂŞtements Ă la main pour les ramener aux autres. Tout le point de rendez-vous est nettoyĂ©, il ne reste plus rien du passage de ces derniers.
Les voitures conduisant les rĂ©fugiĂ©s jusqu’Ă leur lieu d’hĂ©bergement s’en vont doucement: C’est l’heure de quitter l’Ouest du stade pour rejoindre Roubaix.

«Welcome Home!»
C’est aux cĂ´tĂ©s de Dan et Robiel que nous rentrons chez Sophie et Bamba. Tupac hurle dans la voiture « This is the ballad of a dead soldier
It’s a crazy world full of sin » . Les gars rigolent, chantent et dansent. Dan scrute Instagram.

« Welcome home! » s’exclame Bamba en arrivant Ă la maison. Les deux convives visitent alors la maison, Bamba leur prĂŞte des chaussons: le temps d’un week-end, ils seront les invitĂ©s. C’est autour d’un waterzooĂŻ de poulet que tout le monde se retrouve. La pression retombe. Tara, la fille de Sophie et Bamba raconte sa matinĂ©e chez la baby-sitter et cet « incroyable gâteau au chocolat » , Dan et Robiel l’Ă©coutent attentivement, l’air bienveillant.

A la fin du repas, les langues se dĂ©lient, les garçons abordent le sujet de Calais. Dan parle de sa famille. Ils expliquent que lĂ -bas, tout le monde pense que la traversĂ©e de la manche est facile. Robiel, quant Ă lui, explique que la vie Ă Calais, ce n’est qu’une parenthèse. Il y vit depuis deux ans, mais il faut bien passer par lĂ . Il deviendra quelqu’un, sans compter sur les politiques : « Politics is bullshit. » .

Etudiante Ă l’AcadĂ©mie ESJ en troisième annĂ©e. Vagabondant entre Paris, Lille et ailleurs.
bravo Ă Sophie, bamba et les autres, colmme toujours… merci Ă vous pouyr cet article. Je susi une personne « à risque » ou « vulnĂ©rable » et depuis octobre, je n’ose plus hĂ©berger, satanĂ© virus… Mais le 18 dĂ©c, pour la journĂ©e internationale des migrants, j’avais dessinĂ© un panneau « migraCtion » et Ă©ctit tout simplement: HUMANITE = HOSPITALITE. L’hospitalitĂ© serait je crois, la prmeière vertu, la vertu de « base »: avant mĂŞme d’ĂŞtre solidaire, avant m^me de vouloir la justice, l’Ă©galitĂ©, la libertĂ© « pour tous » comme le dit le slogan, l’hsopitalitĂ© serait le premier rĂ©flexe humain : d’abord accueillir, ensuite, on verra… Aussi, j’ai hâte de pouvoir avoir moins peur pour ma santĂ©, et pouvoir faire « le minimum d’humanité »….